Histoire Tarabiscotée

 

le Petit Piètre,

le Soleil

et Dame Lune

 

 

En ces temps sidérés où le cosmos s'étire à perpète de vue, toutes les planètes du système solaire somnolent encore sur leur orbite.

Sa majesté le Soleil veille sur sa petite troupe et s'assure que chaque planète respecte bien sa trajectoire orbitale autour de son humble personne.

Il ne faudrait pas risquer un télescopage, surtout éviter à tout prix un nouveau big bang.

 

Il est donc 6h du mat', (le soleil ayant réglé son réveil sur l'heure terrestre) , il s'étire, jette un oeil sur ses instruments de contrôle, et d'une voix de stentor comme il en a l'habitude tous les matins, il se charge de réveiller les dormeuses :

- "Debout là-dedans et que ça sauteeeee" !!!

 

Dame Comète qui passait par là, surprise par le souffle et la puissance de la Voix Royale, fut éjectée à l'opposé de la galaxie dans un nuage de vapeur.

 

Toutes les planètes eurent un sursaut, Mercure la plus proche  lui chuchota :

 

- "Ô mon astre, comme j'aime vos réveils pleins de tendresse".

Sa température alors s'éleva subitement, tant elle en rougissait de plaisir.

 

Sur Venus un peu plus loin, le volcan Maat laissa échapper une coulée de lave.

- "oups, pardon votre majesté", s'excusa la Belle Amoureuse, tout en laissant glisser légèrement son manteau de gaz carbonique, dévoilant ainsi ses formes étranges.

 

La Terre restait emmitouflée dans son atmosphère et se laissait caresser doucement par Ses rayons.

Les petits Êtres courraient déjà en tous sens à sa surface.

 

Mars la flamboyante laissait aller ses vents tourbillonnants et lever des colonnes de sable rouge et ocre.

 

Le Soleil veillait jalousement sur son harem de planètes solides, il les faisaient cuire ou les réchauffait amoureusement selon leur distance. Il avait un rayon protecteur sur chacune d'elles.

 

Enfin presque sur chacune d'elles.

Car si en effet toutes les planètes du système intérieur à la ceinture d'astéroïdes se pâmaient d'aise à ses côtés,  il en était une qui lui restait parfaitement indifférente.

 

La Lune, satellite naturel de la Terre,  se contentait de tourner sur son orbite sans se préoccuper du reste de la galaxie.

Le Soleil était plutôt vexé par cette attitude qui durait depuis des millénaires.

Il s'en était encore plus offensé le jour ou elle avait accepté la visite d'un de ces petits Êtres qui avait osé y poser son pied et planter sa ridicule bannière étoilée.

 

Toutefois, à chaque nouvelle saison des éclipses, il pouvait à loisir contempler sa beauté. Or, en ce matin complètement sidérant, il se décida une fois de plus à tenter sa chance afin d'obtenir ses faveurs.

 

Il attendit qu'elle se fasse nouvelle, et de sa plus délicate voix, il l'interpella :

"Ma bien-aimée, comme Nous sommes heureux de vous retrouver enfin".

La Lune ne répondit pas.

 

Il poursuivit avec emphase :

"Nous attendions cette conjonction avec grande impatience, elle Nous donne un si ravissant spectacle et Nous permet à chaque fois d'admirer votre si jolie face, "vos cratères z'et vos montagneuh, vos mers z'et vos crevasseuh".

 

Soudain, une petite voix à peine perceptible se fit entendre :

 

- "Bien maîtresse".

 -"Qui a dit cela ? demanda le Soleil surpris.

 -"Moi, répondit la voix".

 -"Qui êtes vous donc pour oser interrompre votre Roi"?

 -"Je suis le Petit Piètre et j'ai un message pour vous de la part de ma maîtresse, Dame Lune".

 -"Et bien qu'attendez vous pour me le donner, allons vite, jeune impertinent."

 Le petit Piètre s'éclaircit la voix puis sur un ton très solennel ajouta :

-"Ma maîtresse Dame Lune,  me charge de vous dire... de bien vouloir lui lâcher l'orbite".

 

Un instant interloqué, le Soleil sentit soudain sa couronne entrer en ébullition.

-"Montrez vous enfin, que je vois à qui j'ai à faire" ragea t-il"

 

Une ombre se dessina sur le sol lunaire. Elle avait un corps filiforme, de grands bras, de longues jambes et sur la tête une chevelure frisée...comme un mouton.

-"Qu'est-ce donc que cela ? reprit le Soleil.

Il s'approcha plus près.

-"Mais...mais...balbutia -t'il, vous n'êtes qu'une ombre, et vous prétendez me donner des ordres" ? Il éclata d'un rire bruyant.

 -"Ce n'est pas à vous que je m'adresse mais à Dame Lune, ma bien aiméeuh, ma dulcinéeuh, ma douce amieuh"...puis reprenant sur un ton plus ferme à l'adresse du Piètre :

-"allons allons, retirez-vous petit vermisseau, ou je vous fais flamber sur le champ".

 

Tout en disant cela, le Soleil avançait un rayon menaçant en direction du Piètre.

-"Vous ne manquez pas d'aplomb mon jeune ami, il va vous en cuire de vous opposer à moi de la sorte".

 

Au fur et à mesure qu'il s'avançait, l'ombre sur la Lune grandissait elle aussi, au point de la recouvrir entièrement. La température chutait brutalement, de la glace se formait sur toute sa surface.

La neige fit son apparition avec d'énormes flocons qui en quelques minutes seulement remplirent les cratères des volcans.

La Lune disparut sous une épaisse couche blanche et glacée,  puis s'immobilisa sur son orbite gelée.

 

Le Soleil s'écria à l'adresse du Piètre :

-"Voyez ce que vous avez fait misérable, vous Me l'avez tuée"

 

Le Piètre répondit :

 

-" Ce n'est pas moi qui en suit la cause, mais bien vous-même.

Votre position centrale dans notre système ne vous autorise pas pour autant à tout contrôler, à tout décider à la place des autres, et encore moins à diriger leurs sentiments.

Vous désirez paraître important aux yeux des autres, mais ce n'est pas de cette façon que l'on brille le mieux.

 

Votre attitude orgueilleuse ainsi que votre arrogance sont le résultat de ce refroidissement subit.

Dame Lune se détourne de vous car votre vanité l'effraie".

 

Impressionné par ces mots, le Soleil se retira tout doucement.

La Lune reprit alors sa rotation orbitale, la glace et la neige se mirent à fondre rapidement.  

 

Le Soleil un moment silencieux, osa demander enfin :

-" Mais qui êtes vous donc Petit Piètre" ?

 

A la surface de la Lune, l'ombre à la chevelure frisée...comme un mouton répondit :

 

"-Dame Lune et moi sommes devenus amis. En échange de cette amitié, je ne lui demande rien, elle non plus, mais si elle a besoin de moi, je suis là. Nous nous sommes en quelque sorte...apprivoisés".

 

Nous cheminons ensemble, sur une  voie toute tracée.

Mais de vôtre emprise nous préférons nous passer.

Car de vôtre idolâtrie il n’est point de cadeau, que ce  lourd manteau qui lui a gelé la peau .

 

Puis il ajouta :

"A trop vouloir paraître, on finit par disparaître".

 

à Antoine de Saint Exupéry...