HISTOIRE TARABISCOTEE

 

des

Rêves de l’Auteur

 

 

En ces temps oniriques et néanmoins bien réels, il y a grande effervescence dans le bocal à pensées de l’Auteur.

L’histoire tarabiscotée qui va suivre se déroule pendant la phase de sommeil paradoxal, appelée également « phase des rêves ».

 

Une foule compacte de rêves, tous aussi lunatiques les uns les autres, se presse devant le comptoir de la Raison.

Elle seule est habilitée à laisser passer les rêves qui doivent au préalable remplir un formulaire aussi transparent qu’invisible et fournir ainsi de bonnes raisons pour se voir figurer dans le registre du « Tiens, cette nuit j’ai rêvé que… »

 

«Suivant, annonce la Raison.

Un rêve s’approche .

- Je suis le Rêve de la Création Littéraire, dit-il.

La Raison le détaille de pied en cap, jusqu’à la plume du chapeau.

- Quel est votre programme ?

- Les mots, annonce t-il posément.

- Très bien mais lesquels ? S’impatiente la Raison en notant le matricule du rêve sur son formulaire aussi transparent qu’invisible.

- Tous les mots, répond t-il.

Puis s’enveloppant à demi dans sa cape et prenant un air Cyranesque(se dit de quelqu’un qui a un grand nez et qui se la joue grave), il récite sans s’arrêter : 

 

- Un mot peut être :

« acidulé, salé, acre, amer, corsé, délicieux, doux, épicé, exquis, fade, fort, fruité, iodé, léger, marin, moelleux, onctueux, pimenté, piquant, poivré, prononcé, puissant, raide, râpeux, suave, sucré, velouté, vert…

- STOPPPPPPP dit la Raison, et lequel de ces mots choisissez-vous ?

- Euh…ça dépendra de l’Auteur. 

- Circuleeeez, s’égosille la Raison, vous repasserez quand vous aurez plus d’inspiration.

- Suivaaaant, crie-t-elle aussitôt.

 

 Un autre rêve, tout bronzé et plein d’huile de coco, chemise ouverte et chaîne en toc, saisit le menton de la Raison et lui sussure dans un accent latino :

- Yé soui lé Rêve dou Farniente cara mia !

- La Raison lève un sourcil et demande :

- Quel est votre programme ?

- Playa, sablé blanco y cocotiers.

Puis il ajoute la bouche en cœur et haleine mentholée :

- et plous si affinités.

 

A peine achevé ces paroles, une bousculade se produit dans la file d’attente.

Le Rêve Erotique se fraye un chemin parmi la foule en trottinant, tout en poussant des soupirs langoureux.

Il se colle au comptoir de la Raison et tout essoufflé il dit sur l’air d’une chanson bien connue :

- Je...je suiiis le rêve é-ro-ti-queuh.

- Quel est votre numéro d’attente ? s’énerve la Raison.

- Ben c’est le numéro 69 et je sais ce n’est pas mon tour.

 

Puis il se penche vers la Raison et poursuit à voix basse en clignant d’un œil et se mordant la lèvre inférieure :

- Il faut absolument me laisser passer, parce que là, je crois que je ne vais pas tenir longtemps dans cet état »

Tout en disant cela, il avait défait lentement ses boutons dorés, numérotés  de Un à Ciel.

Puis saisissant la main de la Raison, il l’amena sur sa poitrine et lui dit :

- Vous sentez là comme ça bat ?

La Raison un instant fut troublée, puis reprenant ses esprits, récupéra sa main et la dissimula sous le comptoir car elle tremblait.

 

Le Rêve du Farniente n’ayant pas loupé une miette de la conversation, mis son bras autour des épaules du Rêve Erotique et l’entraîna dans un coin de la salle, pour lui parler "dou sablé blanco" et autres affinités huileuses.

 

La phase paradoxale était presque terminée.

Aucun rêve raisonnable ne s’était présenté au comptoir cette nuit là.

La Raison s’apprêtait à fermer le guichet, il restait encore quelques minutes.

 

Une ombre s’approcha doucement.

- Qui êtes-vous ? Demanda la Raison

L’ombre ne répondit pas. La Raison distinguait à peine  son visage, elle se pencha un peu.

Soudain, un halo de lumière se fit autour d’eux :

Ils rayonnaient !!!

La Raison balbutiait :

- ...votre, votre ma..tricule ?

Il sourit et d’une voix chaude lui dit :

- Je suis le Rêve d’un Monde Meilleur.

Alors il prit la main de la Raison et franchirent ensemble le seuil du sommeil.

 

Sur le registre aussi transparent qu’invisible, on ne trouva pas trace de ce rêve cette nuit là.

Mais on dit aussi que, parfois, on les retrouve tous deux dans le cœur des hommes.